L'hypothèse de différentiabilité en physique...
...N'a jamais été posée
Quand dans les cours de physique on dit qu'on suppose toutes les
fonctions différentiables, on ne fait pas une hypothèse.
C'est seulement une vague excuse pour se permettre d'écrire des
opérations qui n'ont été mathématiquement
définies que dans le cas différentiable, pour les
appliquer à toute situation plus ou moins modélisable par
des fonctions différentiables, et par extention aussi, par
passage à la limite, au cas des distributions (dont font partie
les fonctions non-différentiables). De cette manière on
se permet de faire des calculs sur les distributions, qui sont les
mêmes calculs que ceux qui concernent les fonctions
différentiables, sans prendre la peine de définir
l'espace des distributions, ni le sens de ces formules dessus, ni
pourquoi elles y sont toujours valables.
Par cette méthode, les calculs physiques vont bien souvent
logiquement de calculs différentiels (donnant la fausse
impression de supposer les fonctions différentiables), vers
diverses conclusions: qu'elles ne sont pas toujours
différentiables, voire qu'elles sont discontinues. En effet, on
écrit des calculs sans poser d'hypothèse sur les classes
de régularité, et à la fin on trouve ce qu'on
trouve, des
fonctions différentiables ou non. Pour le dire autrement: il ne
faut pas confondre hypothèse et conclusion. En physique, les
classes de régularités se découvrent et ne se
supposent
pas. Elles ne sont pas des lois mais de simples
épiphénomènes
des lois. Qu'il soit fréquent de découvrir les fonctions
différentiables n'en fait pas l'expression d'une
hypothèse pour autant.
Qui n'a jamais vu les équations de Maxwell appliquées
à
l'étude du champ créé par une charge ponctuelle ?
Quid de l'hypothèse de différentiabilité
sous-jacente à l'écriture d'équations aux
dérivées partielles là-dedans ?
N'avez-vous pas vu passer, dans quelque calcul
d'électromagnétisme, des dérivées de la
fonction de Dirac ?
...Serait sans objet
La différentiabilité est un énonce qui ne dit rien
sur le comportement macroscopique des fonctions, mais seulement sur la
limite de leur comportement dans l'ultime infiniment petit. Or, les
calculs ordinaires de physique n'ont généralement pas la
prétention d'aller jusque-là, surtout les calculs de
physique des milieux continus qui s'arrêtent à
l'échelle atomique. On sait que les théories physiques
courantes ne s'appliquent de toute maniere plus à
l'échelle de Planck. Comme elles ne disent clairement rien de ce
qui se passe à une échelle donnée très
petite, encore moins disent-elles quoi que ce soit de l'infiniment
petit ultime dont parle la notion mathématique de
différentiabilité.
On sait de toute manière qu'elle est fausse
A l'approche de l'infiniment petit donc, que nous dit la seule
théorie qui y va actuellement plus loin que toutes les autres,
la théorie quantique des champs ? Que d'abord on pose une
intégrale fonctionnelle, portant sur un espace de fonctions
qu'on écrit comme différentiables pour pouvoir
écrire leur action à intégrer. Qu'ensuite,
l'intégrale fonctionnelle fait apparaître comme fonctions
prédominantes dans cette intégrale des fonctions
hautement non différentiables, voire partout discontinues; que
ceci fait diverger violemment les calculs de l'action et de
l'intégrale fonctionnelle, et qu'alors on doit consacrer au
moins la moitié de tout le travail d'étude de cette
théorie au problème de la gestion et du contournement de
ces divergences.
Petit point sur les variétés riemanniennes
On peut parler de variétés continues
non-différentiables, ou bien de variétés de classe
C1, ou Cn. Cependant, dans le cas de l'espace physique, on a un champ
de métriques pseudo-euclidiennes, autrement dit une
variété pseudo-riemannienne (essentiellement la
même chose qu'une variété riemannienne, sauf que la
signature est (n-1,1) au lieu de (n,0)). Or, il est possible de
reconstituer canoniquement les notions de classes de
différentiabilité à partir d'une structure de
variété pseudo-riemannienne. A savoir, on prend des
géodesiques comme repères, ou on prend un système
de coordonnées dans lequel la métrique est la plus
régulière possible. Le seul frein à cette
définition canonique des classes de régularité
à partir de la donnée physique du champ de
métrique, permettant de définir les classes de tous les
champs, est le champ de courbure: si le champ de courbure est de classe
C(n), alors les classes de régularités se
définissent jusqu'à la classe C(n+2) pour les champs de
vecteurs ou tenseurs liés au fibré tangent, et C(n+3)
pour les champs indépendants du fibré tangent. Ainsi par
rapport à cela, la classe de régularité du champ
de courbure est
nettement définie. Plus généralement, pour un
espace fait de points
avec ce genre de géometrie même plus
irrégulière
qu'on peut envisager
en passant aux cas limites, les irrégularités pourront
encore se
définir comme courbures singulières, qui ne seront plus
des fonctions
mais des distributions en un sens étendu (en physique on n'est
pas à un
passage à la limite près). Etant toujours des courbures,
bien que
singulières, elles rentrent toujours dans les équations
qu'on peut écrire sur la courbure.
Que dit l'équation d'Einstein
Elle relie linéairement la courbure de l'espace-temps au tenseur
d'énergie-impulsion. La courbure étant calculable en
termes de dérivées
secondes du tenseur métrique dans un système de
coordonnées local, cela
signifie-t-il que tenseur métrique est deux fois
différentiable ? Même
pas: dans les situations physiques, le tenseur d'énergie
impulsion est
parfois discontinu (la densité de matière est discontinue
à la surface
d'une planète) donc à la frontière le champ de
métrique n'est pas deux
fois différentiable.
Malgré cela, la régularité est encore assez
bonne: le tenseur
d'énergie impulsion étant mesurable borné, cela
permet de
définir au sens des
distributions les différentielles des champs d'une
manière dont la régularité se définit
à une fonction
lipschitzienne près. Ceci dit, insistons, cette classe de
régularité
n'est nullement une hypothèse de la relativité
générale. En effet, on
n'a ici qu'une relation entre deux choses, la courbure et le tenseur
d'énergie impulsion, reliant donc aussi par là leurs
classes de
régularités. Ce
qui détermine finalement cette classe commune, c'est celle de
l'énergie, donnée par le contexte physique, et dont la RG
en elle-même ne dit rien. Le fait que la densité
d'énergie soit finalement bornée, limitant ainsi
l'irrégularité de
l'espace-temps, n'est qu'une affaire de circonstance et non de
principe: nous n'avons pas pour l'instant rencontré de forme
matérielle
dont la densité d'énergie soit illimitée dans un
domaine
d'échelle où
son effet gravitationnel soit significatif (la plus grande
densité étant celle des noyaux atomiques qui se retrouve
dans les
étoiles à
neutrons, c'est encore une densité bornée où la
relativité générale
s'applique).
Justifications de l'équation d'Einstein
Si Einstein a posé son équation, ce n'est pas par caprice
ou parce
qu'il avait voulu supposer l'espace-temps deux fois
différentiable,
mais parce qu'il n'avait essentiellement pas le choix: c'est la seule
équation qu'on peut raisonnablement écrire pour respecter
le principe
fondamental de la mécanique, celui de conservation de
l'énergie-impulsion, et le principe encore plus fondamental dont
il
découle, le principe de moindre action:
1) Quelle que soit la géométrie de l'espace-temps
pseudo-riemannien, on
peut toujours voir cette équation comme tautologiquement vraie,
comme
une définition de l'énergie-impulsion. Alors sa
conservation en résulte
comme un théorème de géométrie.
2) Si on voulait envisager un autre tenseur d'énergie-impulsion
que
celui-là, les déformations de l'espace-temps videraient
de son sens
toute tentative d'écrire un bilan de sa conservation, qui
dépendrait du
chemin suivi. Donc, plus de conservation de l'énergie, et
possibilité
du mouvement perpétuel.
3) Cette équation est également l'expression
précise du principe de
moindre action, en définissant l'action du champ de
gravité comme
intégrale de la courbure scalaire (seule expression naturelle
d'une
action pour le champ de gravité).
Bien sûr, ça ne veut pas dire que c'est dans l'abolu la
seule
loi de
gravitation possible, mais ça veut dire que c'est une grille de
lecture
particulièrement pertinente pour interpréter toute
géometrie de
l'espace-temps qui peut survenir. A savoir, que toute déviation
du
tenseur de courbure par rapport au tenseur d'énergie impulsion
des
particules et
champs connus, se comprend comme l'effet de la présence de
nouvelles
particules ou de champs cachés.
Ainsi, ca n'aurait pas vraiment de sens de parler d'une
déviation de la
géometrie de l'espace-temps par rapport à l'equation
d'Einstein, tout
ce qui aurait du sens et qui serait le sens sous-jacent de l'invocation
précédente, serait l'introduction de nouvelles particules
et
nouveaux
champs dont l'énergie perturberait le champs de gravitation.
Or, en prétendant supposer un espace-temps irrégulier,
Nottale met la
charrue avant les boeufs: la forme de l'espace-temps ne saurait
être de
l'ordre des hypothèses et lois fondamentales, mais pour que cela
ait un
sens il faudrait d'abord s'interesser à écrire les lois
d'évolution de
nouvelles particules et/ou champs irréguliers qui pourraient
être les
causes d'un tel champ de gravitation aux formes fractales.
Autrement, comment peut-on remettre en question l'équation
d'Einstein qui n'est que la conséquence du principe de moindre
action
garant de d'impossibilité du mouvement perpétuel, sans
daigner prendre
la peine d'expliquer comment l'énergie serait encore
conservée ?
S'agit-il donc d'une remise en question de l'impossibilité du
mouvement
perpetuel ?
Cas de la gravitation quantique
(Note: je ne connais pas personnellement de théorie de la
gravitation quantique, seulement ayant quelques notions de
théorie quantique des champs je peux voir en gros les
premières
idées de problèmes qui surgissent quand on se pose la
question
de chercher une gravitation quantique; je ne prétends pas
connaître les plus profondes difficultés qui peuvent venir
quand
on s’attaque effectivement au problème, et n’ai encore moins
l’idée de solutions possibles, pour lesquelles je vous renvoie
aux recherches existantes en gravitation quantique à boucles,
géometrie non-commutative et théorie des supercordes;
cependant je pense que ces vagues idées suffiront pour la
présente argumentation)
Quand on veut passer a une théorie quantique de la gravitation,
les raisons précédentes ne s’appliquent plus parce que:
- On n’a plus un espace muni d’une géométrie
précise faite de points
(différentiable ou non) mais pour le moins une superposition
quantique
infinie de géométries différentes manquant
d’observateurs
pour se réaliser. On ne peut donc pas définir
canoniquement l’énergie par une équation d’Einstein en
fonction d’une géometrie bien définie de l’espace-temps
en un sens classique;
- L’énergie à conserver n’est plus une fonction mais un
opérateur hermitien sur un espace de Hilbert
- La physique quantique remplace le principe de moindre action par
celui d’une intégrale fonctionnelle quantique sur l’action, qui
donne un comportement bien différent (avec possible dominance de
fonctions non-différentiables) sans nécessiter de changer
la formule de l’action, qu’on peut ici garder comme intégrale de
la courbure scalaire. Cet autre principe est également connu
pour
donner un opérateur d’énergie qui se conserve.
Donc, se pose la question : en relativité d’échelle,
quel est le principe fondamental de la mécanique qui est
utilisé
? La moindre action, l’intégrale fonctionnelle quantique, ou
bien un
autre principe, mais alors lequel ? Et au nom de quoi cet autre
principe pourra-t-il encore garantir la conservation de
l’énergie et donc l’impossibilité du mouvement perpetuel
?
Questions fondamentales qui ne semblent pas avoir traversé
l’esprit de Nottale…
Lever l'hypothèse de différentiabilité, c'est
donc :
- Sauf précisions contraires, lever l'impossibilité du
mouvement
perpétuel;
- enfoncer des portes ouvertes;
- N'avoir aucun sens de la physique, pour croire que cette
hypothèse
ait jamais existé, en tant qu'hypothèse (et non seulement
en tant que
conclusion).
Quant à laisser ses admirateurs prendre ceux qui n'admirent pas
un tel
coup de génie révolutionnaire pour de vieux bornés
attachés à une
hypothèse...
Retour : critique
de la relativité d'échelle de Laurent Nottale
Analyse de
"Fractal space-time and microphysics" chapitre 1